Les dents longues

Cille à peine, la remarque faisant mouche, sans aucun doute, mais Artémis se refusant à lui accorder toute l'importance qu'elle prend pourtant à ses yeux.
Il pouvait bien dire ce qu'il voulait, il verrait le moment venu de quel bois elle était faite.
Naive?! Aurait presque crachée le mot si le prononcer à voix haute n'avait pas signifié lui donner trop d'importance. Et il n'en avait aucune, que ce soit dit.
Fulmine qu'il ose lui dire tout ça, comme si elle l'ignorait, comme si elle était de ces imbéciles moutons tout juste bon à ne jamais enfreindre les règles parce qu'ils n'avaient pas même consciences des limites qu'on imposait à leur esprit.
Le temps de digérer la remarque et d'avoir établi un calme intérieur sous contrôle, détourne les yeux. Ce n'est qu'en notant un mouvement, et la venue d'un silence qu'elle darda à nouveau un regard chargé de dédain sur Barker, ne se gênant pas pour le fixer dans les yeux.
Adoptant le ton de l'adulte posé et convaincant, se met au devoir de poser ses propres conditions:

J'écouterais tout ce que vous aurez à m'enseigner avec application, je ne vous mentirais pas, et même, si vous le désirez, je vous laisserais prendre les mesures de sécurité qui s'imposent pour vous protéger d'un quelconque débordement de ma part.

Grande dame, même si elle montre clairement que tout ceci est inutile à son sans, et surtout, que Barker parle pour ne rien dire:

En suite, je m'investis sciemment dans un projet à long terme, ce n'est pas une lubie du moment, ni un passe-temps de jeune noble en mal d'originalité. Jamais je ne me suis imposée la moindre limite, si ce n'était l'intégrité des personnes que je côtoie. A partir de là, vous êtes libres de m'indiquer comment ne pas attenter à votre intégrité, mais vous ne pourrez pas endiguer ma démarche ni ses effets. Quand bien même en seriez-vous un partenaire privilégié, ma réflexion restera mienne, quoi qu'il arrive.

S'interrompt, comme soufflée elle-même par la virulence de sa réplique et le sérieux qu'elle avait mis dans son intention et ses parole. On pouvait dire que ça venait de loin. Maintenant que tout ce qui avait besoin d'être dit, à son sens, l'était, ne sait plus vraiment, comme poursuivre, alors se contente d'un signe de tête signifiant qu'elle en avait fini, et se retirait pour l'heure. OU que du moins, elle laissait le soin à Barker de s'exprimer à partir de maintenant.

Observateur, presque inquisiteur sans le montrer, se contente d'écouter sans mot dire et avec impassibilité les propos de la jeune fille. Voilà une attitude à laquelle il ne s'était frotté que très peu au cours de sa vie, du moins lorsqu'il s'agit de parler d'une adolescente. L'esprit vacant d'une pensée à l'autre, considère ses paroles, son attitude avec une extrême attention.

Bien qu'engagé dans un silence suite à ses mots, s'apprête à formuler une réplique tout en la regardant avec sérieux. Jouant d'un certain dédain, pourtant, fait courir le bout de sa canne entre deux doigts. Avec une prudence qui ne lui est pas coutumière :

Tu possèdes un regard sur toi et tes actions... intéressant. Il me plait que tu affiches de cette façon ta pensée et il ne me vient même pas à l'esprit le fait de te retirer le privilège de ta réflexion. Le contraire m'aurait déçu.
Néanmoins, "fillette", laisse-moi te rappeler qu'accepter mon enseignement est accepter ma tutelle. Tu devras m'obéir, même si l'idée ne te plait pas, car je n'entends pas te laisser mener ce cheminement sans que tu en tires des leçons.

Intransigeant :

Si cet aspect ne te convient pas à 100%, tu peux oublier cette conversation.

Après l'attente du verdict et l'inquiétude qui allait avec, les battements de sont coeur n'avaient pas faiblis, maintenu à un rythme suffisant pour lui insuffler acuité et une sensation de douce ivresse.
Qu'il était grisant de négocier...

ça me parait juste... J'accepte tout à fait l'idée que vous soyez le professeur, et moi l'élève. Il arrivera sans aucun doute qu'un cheminement ne me semble pas opportun, mais que vous l'estimiez nécessaire.

N'apprécie pas de lui concéder ce point, ayant malgré tout l'impression, quelque part, de céder son âme au diable, mais poursuit coûte que coûte. Elle aurait aimé ajouter comme condition qu'il ne se joue pas d'elle, mais elle savait cette cause perdue d'avance. A défaut de conserver son âme intact, se redresse, et se penche un peu vers Barker, jouant d'un regard sans détour, même si faillible, et de tout ce qu'elle a à offrir de séduction.

Mais ne vous attendez pas à une obéissance aveugle exempte de revendications ni à l'exclusivité. C'est ainsi que je fonctionne le mieux, et c'est ce qui fait mon charme parait-il... Vous ne voudriez pas que je perde en valeur, n'est-ce pas...?

Amusé par cette intention pittoresque, se joue de la faille en s'approchant à son tour, avant-bras posés sur son bureau. De sa pupille sombre, fixe Artémis avec un rien d'indécence. Les sens toujours en éveil, se refuse pourtant de jouer d'eux au nom d'un quelconque pouvoir. Lèvres entrouvertes, dégage un charisme qui n'a rien d'avenant lorsqu'on y regarde de plus près.
Dans un murmure claquant :

Tu surestimes ta valeur.

Se recule tout en la fixant, presque prédateur, et se met à rire. A peine. Juste ce qu'il faut pour qu'elle éprouve un certaine part de mépris.
Joueur à en faire frémir, fait remonter sa main jusqu'à la commissure de ses lèvres et décrète :

L'exclusivité ne m'intéresse pas, pas plus que l'obéissance aveugle.

Il se trouvait à la limite presque franchie d'un discours qui n'avait plus rien de professoral et c'était cette limite précise qu'il chérissait tout particulièrement en l'instant. D'un claquement de doigt, il pouvait la faire tomber entre ses crocs s'il le désirait. Mais il était encore trop tôt et il aimait savourer l'emprise qu'il disséminait lentement.

Fascination. Il n'y avait bien que ce mot pour définir l'état dans lequel Artémis se sentait entrer bien malgré elle dès qu'elle se risquait à jouer avec le feu.
Il n'y avait bien que cette folie pour expliquer qu'elle se sente fondre sous ces mots alors qu'à ses yeux, toute leur inconsistance et la mauvaise foi de Barker ne cessaient de la frapper.
Perdue toute sa belle assurance! Chaque fois il la ramenait 5 ans en arrière, quand elle ne savait rien, n'était rien, et il ne lui restait plus qu'à lutter pour trouver à quoi se rapprocher.
Portée par l'envie de se renfoncer dans son fauteuil, Artémis fixa un instant Barker, entre fascination et dégoût. L'incongruité de ses propres pensées la ramena sur terre, et c'est avec un rire doux amère qu'elle détourna les yeux, convoquant toute l'incrédulité qu'elle pouvait ressentir.
Comme pour elle-même:

Nous verrons bien.

Mais une chose était sure, elle n'était pas prête à lui concéder ce point. Ne serait-ce que sa présence dans ce bureau prouvait son intérêt. Restant toujours le regard détourné, dans une posture à la limite de l'inconscience pour mieux se protéger de l'influence de Barker qu'elle savait néfaste pour sa capacité de réaction, elle reprit d'une voix faite pour laisser le moins de prise possible à l'interprétation.

J'ai des défauts, et j'en suis consciente.

Cette fois-ci, elle reporta son regard sur l'homme assis en face d'elle. Sa confiance en elle y était, intact, et assurée sur des bases concrètes dont elle avait chaque jour pu évaluer la solidité. Établies à force de doute et de remise en question, sa conception du réel n'avait que peu de failles, et si il y avait une arme qu'elle pouvait utiliser face à Barker, c'était celle-ci.

Tout comme de l'intérêt non professionnel que vous me portez.

Le sourire apparu, courbant à peine le coin des lèvres, juste assez pour leur donner une inflexion délicieusement taquine et sensuelle.
Poursuit, avec dignité et hauteur, comme si elle lui concédait un point en répondant à son attitude suggestive tout en élevant le niveau d'exigence.

J'ai confiance en le fait que vous soyez un homme de goût et d'esprit et saurais être à la hauteur de votre exigence, voila tout. Quand à votre contentement, je crains que ce ne soit une autre histoire...

Conclut, sur le fil, et droite sur le bord de son siège, comme si elle se trouvait sur le point de s'en aller, portée vers l'avant.

Avons-nous un accord? Ou vouliez-vous autre chose?

Succombe à ces délicieuses effluves qui pénètrent ses veines. Instinct ébranlé, se doit de lutter contre cette intense pulsion qui s'éprend de lui alors qu'Artémis fait montre d'une assurance provocante. Rien n'aurait pu lui sembler plus compliqué en l'instant, alors que ses sens s'agitent et que son sang se met en ébullition. Douce torture...
Ses paroles l'ancrait à la réalité du discours et il n'aurait su dire si elles n'en étaient que plus excitantes.
Esquisse un sourire sombre alors que son ses deux yeux la fixe avec danger, épris d'une souffrance qui aurait pu facilement trouver apaisement.
Non. Il ne pouvait céder, il se devait de contrôler cette part de lui qui hurlait.

Se refuse à tout mouvement, par prudence. Mais malgré lui, l'appel de son propre regard se faisait plus insistant, inquiétant comme magnétique. Ainsi figé, entrouvre à peine les lèvres pour lui apporter une réponse au timbre envoûtant.

Pas pour l'instant.

Il ne lui dit pas de partir, mais elle n'avait pas besoin de l'entendre, déjà prête à s'en aller. Cela valait mieux pour elle. Le reste, ils auraient le temps d'en parler lorsqu'il aurait repris complètement ses esprits. Pour l'instant, il se sentait trop obnubilé par ce qui s'était éveillé en lui avec violence.